Ombre japonaise

EXTRAIT

“Je crois que je suis resté un moment sans comprendre, sans réaliser vraiment ce qui se passait, ce que je faisais ainsi, agenouillé sous la table.
Le monde avait explosé. Des cadavres jonchaient le sol, les cloisons étaient éventrées, les miroirs brisés. Le corps de mon frère avait glissé à terre, le dos transpercé d’éclats de verre. Mort. Pendant un instant, je crus que moi aussi… Tout ce sang sur moi, le regard fixe de Marc. C’était peut-être ça la mort ? Aucun son. L’impression d’être immergé au fond d’une piscine sans eau, juste emplie de fumées et de flammes. Sans un bruit. Une quinte de toux me déchira la poitrine, une douleur aiguë dans les tympans.
Le feu rongeait les tables et les chaises, les boiseries et les tentures du restaurant. Bientôt, il serait sur moi. Tout près, le corps d’un homme qui remue faiblement. Une de ses jambes forme un angle impossible. Sa bouche s’ouvre, mais je n’entends toujours rien. Il retombe et, en cet instant précis, je sais qu’il est mort et que je suis vivant.
Suis-je le seul survivant ? Je tourne lentement la tête.
La lumière du jour paraît lointaine, si lointaine, l’impression d’être au bout d’un tunnel, alors que je le sais, quelques mètres à peine me séparent de la rue.
À contre-jour, deux silhouettes bougent là-bas. Irréelles.
La femme, une blonde, porte une robe claire serrée à la taille. La lumière du jour traverse le tissu, soulignant les courbes de son corps, ses cheveux défaits flottent sur ses épaules et autour d’elle, joyeusement, un enfant fait la ronde. L’impression d’irréalité s’accentue encore. Et toujours cette absence de bruit. Les flammes toutes proches. La chaleur insupportable, l’air manque. Sortir.
Je marche, enfin je crois que je marche, mais je m’aperçois que je suis toujours agenouillé. Je me sens lourd, si lourd. Il faut que j’aide ces deux-là. Ensuite, je reviendrai chercher mon frère.
Mon regard se tourne à nouveau vers la porte, l’enfant sautille toujours, il a attrapé la main de la jeune femme et la force à danser avec lui. Elle se laisse faire, ses bras et ses jambes remuant comme ceux d’un pantin. Malgré le feu, les morts, ou peut-être à cause de cela, ils sont beaux. Je pense à la photo que je pourrais faire et que je ne ferais pas. ”

L’HISTOIRE

Dans ce nouvel opus japonais, Viviane Moore nous plonge avec violence et sensualité dans le brouillard d’un univers oppressant et urbain à l’excès.
Une silhouette tatouée tel un yakusa, fuyant son passé, sème la mort et la terreur à Tokyo. Ombre japonaise, cachée derrière le paravent d’un maître tatoueur ou dans le dédale des rues, cette femme n’en finit pas de réclamer justice. Un polar rouge sang, noir comme l’encre d’un tatouage, lumineux comme une estampe…

Troisième tome de la Trilogie japonaise

Tome 1 – Tokyo Intramuros

Tome 2 – Tokyo des ténèbres

Tome 3 Ombre japonaise

Éditions Elytis
Réédition parue en mai 2008 aux éditions Elytis
Format 115 x 150 mm
Broché, 304 pages
ISBN 978-2-356390-042
13,90€

Flammarion
Collection « Noir »
237 pages
18 euros
Parution : 2003